EN 1968, UN POÈME VIETNAMIEN ECRIT DE SAIGON SUD VIET NAM POUR LE PRINTEMPS DE PRAGUE...

A nos Frères et Sœurs Tchèques
Le printemps de Prague
Il y a cinquante ans, dans la nuit du 20 au 21 août 1968, l'invasion de l’armée soviétique (Pacte de Varsovie) en Tchécoslovaquie a écrasé brutalement le Printemps de Prague. Mais ce désir de liberté et de démocratie des Tchèques et des Slovaques a survécu et constitue l'essentiel de ce qui unit l'Europe aujourd'hui', a écrit mardi le président du Conseil européen Donald Tusk sur Twitter. Avec nos affectueuses pensées et notre fidèle solidarité, Nguyên Hoàng Bao Viêt et les Frères et Sœurs du Viet Nam Libre (en exil), Vice-président du Centre PEN Suisse Romand (Comité des Ecrivains en Prison)
Les fleurs pleurent dans la nuit
À la mémoire des milliers de civils Sud-Viêtnamiens massacrés à Huế (offensive communiste du Nouvel An Tết Mậu Thân 1968) et des frères et sœurs Tchèques et Slovaques qui ont sacrifié leur vie lors du Printemps de Prague en 1968.
Soudain, nous entendons les fleurs pleurer
Dans la nuit
Et nous croyons que nos cœurs mêmes débordent
De larmes amères
Les fleurs pleurent la colombe
À la place de l'homme
Quand, à l'improviste, sur le toit de tuiles grises
La pluie morose précipite ses pas lourds.
L'oiseau messager périt
Telle une étoile filante désagrégée
Dans l’étendue des airs
Les duvets immaculés défilent en nuées
Par dessus la montagne.
Où donc
La perle de rosée de la nymphéa?
La fleur de l'âge qui nous est destinée?
L'aurore paisible des moineaux?
Les fleurs pleurent en toute liberté
Ce dont la mort est privée
Lui remettent leur source de douleur
Sans retenir aucune plainte.
À la nuit de la trêve trahie
Assaillie par la terreur
Remettons tous ces monceaux de cadavres inconnus
Défigurés, déchiquetés, gisant à plat ventre
Calcinés sous les piliers des charpentes effondrées
Ravagées par le feu.
Des obus incendiaires s’abattent sur leurs têtes
Détonent sans répit
Dans les profondeurs de la nuit transparente
Les fusées percutantes foncent droit dans leurs cœurs
Détruisant le globe spatial
De cristal.
Frères et Sœurs de Prague
À ces heures, sans doute
Vous êtes en train de passer la nuit
Si on nous impose de murmurer entre nos dents
Nous est-il possible de supporter ces outrages?
Au plus profond de mes méditations
Combien mon cœur est à l'orage!
Quittant la cime de la solitude
J'embrasse, de mes regards, la ville morne
Se réveillent, aussitôt, les lignes de cœur écrasées.
Où sont les douces matinées
Imprégnées de souffles d'enfants?
Le tendre gazon empreint de pattes d'oiseaux?
L'inoubliable automne
Témoin de notre solidarité universelle?
L'amour de la patrie, l’affection fraternelle
Forces unies pour défendre nos pays?
À chaque fois que la parole nous a été adressée
Vous avez bien entendu l'écho résonner
Comme les hautes vagues des mers
Comme les quatre vents de l'horizon.
Saigon, maintes fois, a appelé Huê
Huê amoureuse de Hanôi
Tel que Prague a évoqué Budapest
Tel que vous vous êtes rappelés nous autres
Souvent.
Bien que nous aimions vivre en souvenir du passé
Mais cette nuit, cette nuit n'est plus d'hier
Et Sài Gòn malheureuse, Sài Gòn innocente
Ne veut pas voir Huê belle, Huê poétique
Devenir un cauchemar.
Tout comme Prague
Maigre et fragile
Mais patriotique et héroïque
Ne veut pas voir souffrir un second Budapest.
Vous savez combien nous sommes conscients
De la gratitude infinie
Envers ceux qui sont morts, consacrés!
Bien distincte, dans la nuit
Nous entendons nettement chaque lamentation des fleurs
Déplorant la mort de la colombe
Et nous croyons que nos cœurs mêmes frémissent
De pleurs d'amertume.
Nguyên Hoàng Bao Viêt (1968)*
Traduit du viêtnamien par Mme Hoàng Nguyên (1981)
*Poète vietnamien en exil, membre du Centre Indépendant des Ecrivains vietnamiens (en exil), du Centre Suisse Romand de PEN International et de la Société des Ecrivains des Nations Unies à Genève.